Remembrance of Earth's Pasts
Publié le 24 Nov 2022 par Lucas E. Vincent.
Tags : lecture nospoil science-fiction
Remembrance of Earth’s Past, c’est une trilogie de l’écrivain chinois Liu Cixin constituée des tomes suivants :
- Le problème à trois corps (The Three Body Problem)
- La forêt sombre (The Dark Forest)
- La mort immortelle (Death’s End)
J’ai beaucoup lu de SF mais depuis un certain temps, je peinais à découvrir des œuvres qui suscitaient ma curiosité et me donnaient envie de les lire en intégralité. Puis un jour, on m’a vaguement pitché Le Problème à trois corps, en citant une idée originale qui avait été développée par l’auteur. J’ai tout de suite eu envie de me plonger dans l’œuvre, que j’ai dévoré en quelques jours, ainsi que ses deux suites.
Woaw. Liu Cixin est vraiment un auteur de SF incroyable, du niveau d’Asimov et de K. Dick. Remembrance of Earth’s Past est une œuvre de « Hard SF ». Aussi, une grande attention est portée à la plausibilité et à la cohérence des développements scientifiques, technologiques et techniques qui sont traités dans l’œuvre. Au premier abord, cela peut sembler austère mais il n’en est rien ici. La créativité de l’auteur semble vraiment sans limite, des nanomatériaux à la métaphysique, tout y passe et il arrive avec brio à nous faire accepter les concepts de son univers froid et violent. Pour autant, il ne se risque pas à briser la suspension d’incrédulité en se livrant à des explications alambiquées ou à des descriptions impossibles. Aussi certaines choses sont destinés à rester des mystères, d’autres laissés à l’imagination du lecteur, et c’est tant mieux. Un point qui pourrait laisser un certain public issu des sciences humaines plus sceptique, je pense est le regard de l’auteur sur les phénomènes sociaux et les grandes transformations des sociétés au cours du temps. Peut-être est-ce à cause de la distance culturelle entre cette oeuvre et la SF européenne et américaine ? Je ne sais pas.
Les personnages sont nombreux, très nombreux et on aura parfois du mal à se remémorer qui est qui, à fait quoi, et à quelle époque. Les récits sont en effet entremélés et interdépendants (un peu à la Cloud Atlas !). Certaines questions restent en suspens longtemps et ne trouvent leur résolution que des centaines de page plus-tard, dans la continuité d’une intrigue individuelle parfois, mais le plus souvent par l’interaction, explicite ou non de plusieurs d’entre elles. On pourrait s’attendre à ce qu’un tel exercice narratif soit périlleux et conduise à un résultat relativement brouillon, toutefois cela ne nuit au final qu’assez rarement à la cohérence et à la fluidité de la narration. Le lecteur est tenu en haleine le long des trois livres et on ne s’ennuie presque jamais. Sur ce point, c’est une grande réussite à mon avis.
La saga multiplie les registres, certains passages sont objectivement très drôles et ne manqueront pas de faire sourire, tandis que d’autres frôlent l’horreur lovecraftienne et sont véritablement glaçant.
Le premier tome est sorti en 2008 mais curieusement (ou non ?), la trilogie n’a été redécouverte que tardivement en Europe que bien plus tard, en 2016 en France, avec la parution de la traduction de Gwennaël Gaffric. Si je devais émettre un pronostic sur les raisons de ce succès, je dirais que sans en avoir l’air, la trilogie aborde des problématiques très présentes actuellement dans l’espace médiatique voire public. Peut-être que si vous avez lu les livres, cette dernière phrase vous fera hausser un sourcil. Pourtant, au lendemain d’une COP27 qu’on peut qualifier de morose (par charité), nous sommes nombreux à nous demander comment nos sociétés peuvent faire face à une menace existentielle à très long-terme, voire séculaire. Le défi est immense et pose la question de l’ordre mondial et de son évolution. Alors que nous prenons juste conscience de l’ampleur de la tâche, Liu Cixin a précédé (presque) tout le monde de plusieurs années, et dans son œuvre, tout y est. On aura ainsi aucun mal à se projeter dans l’esprit de ces personnages, parfois perdus, parfois livrés au déni, complètement dépassés, défaitistes ou versant dans un spiritualisme qui peut évoquer certaines idées dans les milieux militants écologistes. Je pense que cette pertinence explique pour beaucoup le succès de Remembrance of Earth’s Past.
« Monstrueux !
Nous deviendrons des monstres !
[…]
Oui, nous ne voulons pas devenir des monstres, mais nous ne savons pas ce qu’ils pensent.
Alors, nous sommes tout de même des monstres. Sinon, comment pourrions-nous imaginer que les autres sont des monstres ?
[…]
Soit, alors ne les imaginons pas comme des monstres. […]
Oui, mais même si ce ne sont pas des monstres, le problèmes n’est pas réglé. Parce qu’ils ne savent pas ce que nous pensons.
[…]
Ils ne savent pas ce que nous pensons d’eux.
Ils ne savent pas ce que nous pensons qu’ils pensent de nous.
C’est une chaîne de suspicion sans fin.
[…]
Il fait sombre, putain qu’il fait sombre… »
Extrait de La Forêt Sombre
Je recommande bien entendu cette œuvre a toute personne qui souhaiterait découvrir un petit bijou de la SF contemporaine. Toutefois, c’est une oeuvre dont le ton général, sans être particulièrement pessimiste, peut être anxiogène voire angoissant. Évitez si vous avez un terrain un peu dépressif ou si vous êtes dans une mauvaise passe !